Le « nous » et « l’autre » du nationalisme québécois

Dans sa récente réplique à la chronique d’Yves Boisvert (La dérive conservatrice du nationalisme québécois) et au documentaire de Francine Pelletier (Bataille pour l’âme du Québec), Jacques Beauchemin revient sur le rôle qu’il a joué dans l’évolution du nationalisme québécois, au cours des vingt dernières années, comme intellectuel et comme ancien sous-ministre dans le gouvernement de Pauline Marois.  

Beauchemin affirme que ces années auraient marqué une simple « inflexion » du nationalisme québécois visant à « rétablir la légitimité de la majorité historique francophone ». ll se positionne ainsi en continuité avec la pensée des leaders nationalistes québécois de l’après-Révolution tranquille. Ces derniers, souligne Beauchemin,  « n’ont jamais voulu autre chose que l’affirmation d’un « nous », formé au fil de la longue histoire du Québec et dont l’inclusion des « autres » a toujours été l’une des dimensions ».

Le sociologue de l’UQAM a raison d’affirmer que tout nationalisme, incluant le nationalisme québécois de la période ayant suivi la Révolution tranquille, repose sur un « nous ».  Lévesque, Laurin et même Godin étaient indubitablement motivés, malgré le portrait parfois caricatural qu’en font certains, par le sort d’un « nous » québécois qui ne pouvait être dissocié de la majorité francophone. 

Est-ce que cela signifie pour autant, comme l’affirme implicitement Beauchemin, qu’il n’y a pas eu une transformation majeure du nationalisme québécois dans les années 2000? Que le nationalisme québécois contemporain, tel que porté par la Coalition Avenir Québec, le Parti Québécois et par des intellectuels proches de Beauchemin, est en continuité avec le nationalisme québécois post-Révolution tranquille? 

Pour répondre à ces questions, il faut rappeler que tout nationalisme se définit et se construit non seulement en fonction d’un « nous » aux frontières plus ou moins perméables selon les époques, mais également en fonction d’un « autre ». À titre d’exemple, le nationalisme canadien (anglais) s’est principalement construit en opposition avec « l’autre » américain.

Ce qui caractérise le nationalisme québécois depuis le milieu des années 2000, c’est moins la transformation du « nous » québécois et beaucoup plus celle de son « autre ».

« L’autre » du nationalisme québécois de l’après-guerre a principalement été la figure de « l’anglais », entre autres le « riche anglais » et le « Canada anglais ». C’est dans cette optique que le renversement de l’infériorité économique des francophones, la protection de la langue française et la transformation du rapport Québec-Canada ont été au cœur de la mobilisation nationaliste durant cette période.

Bien entendu, des débats liés à l’immigration et au pluralisme ethnoculturel sont survenus durant ces années. Pensons entre autres à la crise scolaire de Saint-Léonard et aux remarques de René Lévesque, avant l’adoption de la loi 101, sur le fait qu’Ottawa contribuait avec l’immigration à la noyade de la majorité francophone québécoise. Or, la question de l’immigration était abordée d’abord et avant tout dans le contexte des rapports de force entre les communautés francophones et anglophones, entre le Québec et le reste du Canada.  

Depuis le milieu des années 2000, un discours axé sur les « valeurs québécoises » a profondément modifié le nationalisme québécois. Les principaux projets nationalistes du Parti Québécois et de la Coalition Avenir Québec, entre autres le projet de Charte des valeurs québécoises, le test des valeurs pour les immigrants ou encore la loi 21 sur la laïcité de l’État, ont fait de l’immigrant, et en particulier de l’immigrant musulman, le principal « autre » du nationalisme québécois. Ce dernier constituerait ainsi une menace potentielle à la laïcité ou encore à l’égalité hommes-femmes. Il s’intégrerait, selon certains chroniqueurs, politiciens ou intellectuels, peu, pas assez ou mal à la société d’accueil.

La montée d’un nationalisme axé sur la protection des « valeurs nationales » et percevant l’immigration comme une menace potentielle à ces dernières n’est bien entendu pas un phénomène unique au Québec. Il est en vogue partout en Occident. Il constitue tout de même une rupture avec le nationalisme qui a émergé dans le sillon de la Révolution tranquille.

Je n’ai aucun doute que le « nous » de Jacques Beauchemin, tout comme celui de René Lévesque et de Camille Laurin, inclut les « autres ». On peut cependant se demander si le nationalisme québécois, tel qu’il est mis de l’avant depuis près de quinze ans au sein de la mouvance conservatrice, donne à ces « autres » le désir de se joindre au « nous » québécois.